• Ce jour là, huit enfants se tenaient devant moi. Huit enfants que je n'avais jamais eu en ma compagnie, mais que j'avais déjà croisé dans les couloirs, ou dans un autre coin de l'institut.

    Je connaissais déjà beaucoup de choses sur eux, grâce aux rapports des autres professionnels et des parents. Mais eux ne savaient rien de moi. Naturellement.

    J'indiquai au petit groupe de prendre place sur les fauteuils disposées en cercle, et m'asseyais moi même sur l'un d'entre eux. Certains d'entre vous pourraient croire que de simples chaises auraient fait l'affaire, mais le confort permet aux enfants de se confier avec plus de facilité. Une simple chaise aurait également rendu une immobilité difficile.

    – Je m'appelle Mike. Je suis éducateur spécialisé depuis huit ans. J'adore les frites et le sport. Je déteste les mensonges.

    Me présenter de cette manière me permit d'obtenir l'attention de chacun. La majorité des regards exprimait la surprise. Mon air enfantin avait l'air d'en interloquer plus d'un. Parler à des enfants de la même manière qu'eux le feraient était le meilleur moyen de les détendre. Un adulte s'exprime trop difficilement, et n'inspire pas forcément confiance, et malgré mon âge, je n'avais rien perdu du gamin que j'avais été auparavant.

    Mon objectif était d'être considéré comme un égal.

    Une fois la surprise passée, je mettais en évidence une petite balle que j'avais à la main.

    – Si je me suis présenté, c'est parce que cette petite balle jaune se trouve dans ma main.

    La moitié du groupe sembla comprendre la suite des événements, et ça ne parut pas les enchanter.

    – Nous allons jouer à un jeu. Je vais lancer cette balle à l'un d'entre vous. Celui qui la recevra devra se présenter comme je l'ai fais. Il nous dira son prénom, la raison de sa présence, ce qu'il aime, et ce qu'il déteste. Puis, il lancera la balle à son tour à une autre personne.

    Je parlai lentement, afin que les plus jeunes comprennent eux aussi.

    Ensuite, je repérai le plus âgé du groupe, celui qui devrait avoir le moins de mal à prendre la parole, et lançai la balle dans sa direction.

    Ce dernier ne sembla pas surpris de la recevoir, et l'attrapa aisément.

    – Je suis Devis.

    Un temps de pose m'indiqua son hésitation à préciser la raison de sa présence, mais il se reprit bien vite.

    – Je suis là parce que mon psychologue m'a demandé de venir. J'aime la musique, et je déteste les pleurnicheurs.

    – Devis, par 'la raison de ta présence' je voulais entendre la raison pour laquelle tu as intégré l'Institut.

    Il secoua la tête.

    Bien. Après tout, je n'étais pas psychologue.

    – Tu pourras toujours nous le dire plus tard. Lances la balle à quelqu'un d'autre.

    La balle fut lancée au plus jeune, qui avait à peine sept ans, mais qui ne parut pas mal à l'aise à l'idée de parler devant un public.

    – Je m'appelle Peter. Maximilian dit que je suis ici parce que maman n'aurait jamais dû me donner de la drogue. J'aime jouer au foot et j'aime pas le chocolat.

    – Tu n'aimes pas le chocolat ?

    Si j'avais posé cette question, ce n'était pas vraiment par intérêt, mais surtout pour détourner l'attention des autres enfants au sujet de la raison pour laquelle il avait intégré l'institut. Il était primordial que les enfants parviennent à le confier entre eux, mais il n'était pas encourageant de voir des camarades le fixer avec des yeux ronds.

    Mon ton ébahi parut tous les faire revenir sur ce dernier élément. Chacun parut stupéfait de rencontrer une personne qui n'attachait pas d'importance au chocolat.

    – Non. Pas vraiment. De toute façon, c'est chacun ses goûts !

    Je ne cachais pas mon sourire devant la moue qu'affichait soudain Peter.

    – Tu as raison. Tu peux envoyer la balle à quelqu'un d'autre.

    Cette fois-ci, la balle n’atterrit pas dans les mains de la personne voulue. Elle rebondit sur le sol en un bruit sourd, roulant sous le fauteuil de la fille qui aurait dû l'attraper.

    Cette dernière avait les bras croisés sur son torse, et me fixait d'un air provocateur, comme pour me mettre au défi de lui faire une remarque.

    – Jessie, voudrais-tu ramasser la balle ?

    J'avais volontairement employé son prénom pour la présenter indirectement aux autres enfants, parce que je savais déjà qu'elle ne jouerait pas le jeu. La violence dont elle pouvait faire preuve m'avait interpellé lors de la lecture de son dossier, et elle avait toujours refusé de coopérer avec les autres membres du personnel. Je ne m'étais donc pas attendu à la voir le faire avec moi.

    – Non, j'ai pas envie !

    – Tu peux la ramasser, et l'envoyer à une autre personne, si tu ne veux vraiment pas jouer avec nous.

    Elle soupira de façon dramatique, mais récupéra tout de même la balle pour la lancer avec force.

    – De toute façon, ton jeu, il est nul !

    Sa cible n'était autre que moi, et si j'avais été aussi jeune qu'eux, je l'aurais sûrement reçu en plein front.

    – Dommage, je me suis déjà présenté. Je vais donc la relancer à ma voisine.

    Mais au lieu de la lancer, je la déposai délicatement sur les cuisses de l'enfant qui se trouvait à ma droite. Elle avait douze ans, et semblait vouloir se faire toute petite dans son fauteuil.

    Ses yeux me fixèrent, presque larmoyant, alors qu'elle semblait me supplier silencieusement de l'autoriser à passer son tour. Je l'encourageai d'un signe de tête.

    – Je... Je suis Elena.

    Sa voix était toute basse, elle chuchotait presque tellement elle était timide. Et son corps tremblait légèrement sous l'effet de la peur qu'elle ressentait.

    – Est ce que tu sais pourquoi tu es là?

    – Parce que j'ai que huit ans... dans la tête.

    Cette confession ne parvint pas aux oreilles de tous, et elle en parut soulagée. Ce fut comme si ce qu'elle disait était un lourd secret. Ses épaules parurent même lui peser moins lourds.

    – Qu'aimes tu, Elena ?

    La petite fille parut réfléchir un instant.

    – J'aime dessiner.

    – Oh ! J'adore les dessins ! Il faudra que tu me montres ça, un jour !

    Je faisais tout mon possible pour la mette à l'aise, mais je savais qu'une simple remarque ne suffirait pas à la détendre. J'eus tout de même droit à un maigre sourire.

    Malgré sa timidité, je lui demandai ce qu'elle détestait. Certains pourraient penser que cette question aurait pu lui être évité, mais lui épargner lui aurait donné un sentiment d'abandon. L'impression d'être moins importante que les autres.

    – J'aime pas manger du mouton.

    – Beurk ! Moi non plus ! s'exclama Peter.

    Je rigolai tandis que les autres enfants prenaient part à la conversation.

    Enfin un échange entre eux ! C'était encourageant.

    Mon but principal avait été atteint.

    Ce jour là, le jeu se terminait sans encombre, et l'horloge sonna rapidement trois heures.

    L'heure imposée aux enfants dans cette salle était écoulée, et c'est avec joie qu'ils se levèrent de leurs fauteuils.

    – Eh ! Jessie !

    L'enfant qui était le plus pressée s'arrêta net avant de se retourner, le visage vide d'expression.

    – Puisque mon jeu était nul, tu n'auras qu'à choisir celui que tu voudrais qu'on organise la prochaine fois ! Je te laisse jusqu'à mardi pour décider !

    Elle quitta la pièce sans un mot.

    Au fond de moi, je savais qu'elle appréciait l'idée.

     

    Sasha.


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