• Bip bip bip.

    Moi, Murielle, j'avais de nombreuses fois songé broyer ce petit boîtier noir. Celui qui m'indiquait le lieu où je devais me rendre en urgence. Aujourd'hui encore, il ne cessait de sonner, et pour la troisième fois en deux semaines, il indiquait la chambre 305.

    Cette chambre abritait une petite fille arrachée de la garde de ses parents après que l'on ait découvert la maltraitance dont elle était victime. Le problème majeur de cet enfant ? Elle avait été éduquée dans la douleur, et ne comprenait pas pourquoi d'un seul coup, on ne lui adressait que du bien.

    Elle s'infligeait donc des punitions elle-même.

    Je saisissis une trousse de premier secours et me précipitai au troisième étage, prenant l'escalier pour arriver plus rapidement dans le couloir des chambres. Les années passées dans ce même institut me permettaient de ne plus être essoufflée, mais mon âge avancé me rappelait toujours à l'ordre avec de quelconques douleurs musculaires. Heureusement, j'arrivais rapidement à l'étage voulu. Les numéros défilèrent devant mes yeux au rythme de ma course, jusqu'à ce que j'atteigne la porte portant les trois chiffres voulus.

    Reprenant mon souffle, j'affichai un air plus calme avant de rentrer avec douceur.

    Dans la pièce se trouvait Olivia, une psychologue, ainsi que la petite interne. Cette dernière se trouvait prostrée sur son lit, dans un état de panique habituel, à se balancer d'avant en arrière, tout en surveillant de son regard vif le moindre de nos gestes.

    Olivia s'avança lentement vers moi, et murmura :

    – Je l'ai trouvé avec une fourchette entre les mains. Ses avants bras sont en sang.

    La fourchette en question me fut tendue, et l'évidence me sauta aux yeux.

    – Ce n'est pas...

    – Non. Les fourchettes qu'on leur donne lors des repas ont les bouts ronds. Elle a dû dénicher celle là dans la cuisine.

    Je soupirai, réfléchissant à un moyen rapide de la soigner.

    – Aimie... Je vais m'approcher de toi, d'accord ?

    Je ne reçu aucune réponse, rien d'autre que celle du silence. Mais la prévenir me permettait de ne pas la faire paniquer à mon approche.

    Lentement, et sans un geste brusque, j'effectuai un pas après l'autre en direction du lit.

    – Je voudrais juste voir tes blessures pour pouvoir te soigner. Je te promets que je ne te ferais rien de mal.

    Un clignement de ses yeux m'indiqua qu'elle était attentive à mes paroles, j'avançais donc de nouveau, jusqu'à me retrouver à ses côtés. Je prenais garde à laisser une distance de sécurité raisonnable, pour ne pas l'effrayer.

    – Tu voudrais bien me montrer tes blessures ?

    Son corps se crispa instantanément, elle avait peur, mais ne paraissait pas vouloir bouger. En l'observant, je me dis que j'avais de la chance ce jour là. Elle n'était pas aussi paniquée que la fois dernière, et ne semblait pas prête à bondir loin de moi. Peut-être avait-elle vraiment mal ?

    – Je sais que tu n'aimes pas que je te touche, mais je serais obligée de le faire si tu ne veux pas coopérer.

    Une fraction de seconde s'écoula encore avant qu'elle ne relève doucement les manches de son gilet. Ses avants bras étaient couverts d'écorchures en forme de quadrillage. Ces blessures n'étaient pas grave dans le sens physique, mais elle l'étaient beaucoup plus au niveau psychologique.

    Avec des gestes toujours aussi lents, j'ouvrai la trousse que j'avais emporté et en sortis des compresses ainsi que du désinfectant.

    – Tu vas te désinfecter les bras toute seule comme une grande, annonçais-je tout en imbibant les compresses du liquide.

    C'était une première pour moi, de céder un soin à un enfant, et aussi pour elle. Mais je pensais que ce serait une bonne manière d'éviter une crise d'angoisse aussi phénoménale que la fois précédente.

    Calmement, je lui tendis deux compresses.

    – Tu vas en prendre une pour ton bras droit, et une pour ton bras gauche d'accord ?

    Ses pupilles croisèrent les miennes, chocolat contre chocolat, avant qu'elle ne se décide à tendre ses mains. Sans effleurer sa peau, je déposai ce que je tenais entre ses doigts. Toujours en me regardant d'un air un peu incertain, elle commença à frotter le désinfectant sur sa peau lésée, d'abord sur un bras, puis sur l'autre avec une application que je ne lui connaissais pas. Pendant ce temps, je ne cessai de lui sourire pour l'encourager.

    Derrière moi, Olivia observait sa patiente en silence, aussi stupéfaite que moi de la voir aussi calme.

    Je détournais mon attention que ma collègue et revenais sur Aimie, qui avait abandonné le matériel de soin. Je sortis alors deux grands pansements de la trousse de secours.

    – Maintenant, tu vas mettre ces pansements dessus, pour te protéger.

    Cette fois-ci, elle les pris seule de mes mains, établissant même le contact avec ma peau, sans s'en rendre compte. C'était une enfant, et j'étais bien placée pour savoir à quel point les enfants aiment les pansements.

    Pour un enfant banal, ces adhésifs n'auraient pas tellement été nécessaires, mais j'avais peur qu'elle ne se gratte pour empirer la situation. Alors je la regardai les mettre, difficilement, sans intervenir.

    Quand elle eut fini sa tâche, elle releva le regard pour scruter le miens.

    – C'est super ! la félicitai-je. Tiens, regarde, tu peux même prendre mon stylo pour faire des dessins sur tes pansements !

    Même si son sourire était absent, je savais qu'elle était contente, quelque part au fond d'elle. Contente d'avoir pu se soigner toute seule. Et contente de pouvoir dessiner sur elle-même.

    D'ailleurs, sa peau ne fut pas épargnée.

    – Tu sais quoi ? Si tu es sage et que tu ne te blesses plus, je te promets de t'apporter un pansement et mon stylo tous les samedis pour que tu puisses t'amuser.

    Le coin de ses lèvres bougea très légèrement, mais suffisamment pour que je sache que cette proposition lui plaisait.

    Peut-être que, maintenant, elle diminuerait ses tentatives de violences envers elle-même.

    Peut-être que, maintenant, elle allait accepter d'être aidée.

     

                                                                                   

    Bizarrement, j'ai eu plus de mal avec ce texte qu'avec les précédents ! J'espère qu'il vous a tout de même plu.

    Quel personnage avez-vous préféré le plus jusqu'ici ? Maximilian le psychologue ? Mike l'éducateur spécialisé ? Où Murielle l'infirmière ?

    J'attends vos avis avec impatience !

    Sasha.


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