• Raphaël.

    Encore un gamin plein de ressources. Mais incapable de les utiliser intégralement.

    Ce jeune homme était d'une intelligence déroutante lorsqu'il se donnait la peine de réfléchir. L'ennui et les tourments étaient les deux freins qui l'empêchaient de se concentrer.

    En classe, il n'était qu'une boule de nerfs qui ne cessait de bouger. Et actuellement, il était simplement affalé sur le sofa de mon bureau.

    – Comment ça va aujourd'hui ?

    Ses yeux se levèrent et passèrent le long de mon corps de vieillard. J'aurais pu me sentir offusqué d'être ainsi observé, mais mon expérience me rendait impassible au jugement.

    – Mal.

    La voix de mon patient était rauque, et son visage pâle était déformé par l'épuisement. Malgré tout, ses yeux restaient brillants de ce qui me semblait être la colère.

    – Qu'est ce qui va mal ? 

    Un soupir m'indiqua son irritation, et son envie de fuir la question. Quelque chose dans son regard semblait vouloir me crier "Ça ne te regarde pas, Richard", et pourtant, connaissant Raphaël, je savais qu'il allait me répondre. Et cette certitude de confirma.

    – J'ai envie de frapper tout ce qui bouge.  

    Quelque part, je m'étais douté qu'on allait finir par aborder ce sujet.

    Raphaël était d'une violence compulsive lorsque son moral était au plus bas. Heureusement, il semblait se contrôler pour ce qui était de frapper les autres. Mais il ne se retenait pas de se faire du mal à lui. 

    Il me fallut quelques longues secondes pour quitter mon fauteuil, et encore un instant pour boitiller jusqu'à lui sans l'aide de ma canne. Mon vieux squelette parvenait encore très bien à se mouvoir, contrairement à ce que je laissais paraître.

    Avec une lenteur exagérée - qui permettait à mes patients d'anticiper tous mes gestes - je me penchais et saisissais l'un des coussins qui décoraient le divan. Et alors que je le prenais à bout de bras, je remarquai l'air interrogateur du gamin.

    – Qu'est ce que tu attends ? Vas-y ! Frappes !

    Une lueur de surprise passa dans les pupilles de l'adolescent. Et ce fut sans me quitter des yeux qu'il se leva prudemment, et vint me faire face.

    – Vous êtes sûr ?

    – Qu'est ce que tu crois ? Je ne te le proposerai pas, autrement.

    D'abord hésitant, le gamin mis son poing dans le coussin. Puis, lorsqu'il fut sûr de mon immobilité, de mon maintient, ainsi que de mon manque de jugement, il enchaîna coup sur coup, enfonçant ses poings dans le tissus avec autant de force qu'il le pouvait.

    Il me fallut raffermir ma prise sur le coussin pour ne pas le lâcher alors qu'il se défoulait dessus.

    Pendant cinq longues minutes, je me contentai d'observer son visage contracté par la rage, ses traits déformés par la colère.

    Puis, plus rien.

    Raphaël, à bout de souffle, s'affala sur le divan, l'air contrarié, et le regard fuyant.

    – Alors ? Ça fait du bien ?

    – Non, grogna-t-il. Ça fait rien du tout !

    Je m'y étais attendu. Frapper n'était pas un bon moyen d'extérioriser ses émotions. Ça faisait parfois du bien sur le moment, mais au final, ça n'arrangeait rien. Et ça, Raphaël venait enfin de le comprendre.

    – Tu ne pourras jamais guérir avec la violence. Jamais.

    Mon ton était volontairement dur et autoritaire, suffisamment pour l’interpeller.

    – Alors comment je peux guérir ?

    Il détacha les mots, comme incertain de la façon de le demander. Raphaël semblait perdu, presque désespéré. Vraiment vulnérable, alors qu'habituellement il ne laissait rien paraître.

    – C'est tout simple, Raphaël.

    L'adolescent releva brusquement les yeux vers moi, sans pour autant plonger son regard dans le miens.

    – Il te suffit de t'accepter. Toi, avec ton passé et ton présent. Ainsi, tu pourras mieux envisager l'avenir.

    – Ce n'est pas si simple que ça ! se renfrogna-t-il.  

    A cet instant là, il semblait vraiment me considérer comme un vieux fou qui n'y connaissait rien.

    Je pris le temps de m'asseoir près de lui, et d'observer un peu son visage trop adulte, avait de répondre posément.

    – Ça le sera, avec moi. Il te faut juste me donner ta confiance, et balancer tout ce que tu as sur le cœur. Pour te débarrasser du poids que tu as sur les épaules. 

    J'apposai ma main ridée sur sa poitrine pour appuyer mes paroles, récoltant un air ahuri.

    – Ne fais pas cette tête là, gamin.

    Je ne pus m'empêcher de rire en l'entendant me répondre vertement l'une de ses insultes préférées suite au dernier mot prononcé. Et lorsqu'il réalisa le ridicule de la situation, ce fut enfin son rire qui parvint à les oreilles alors qu'il se détendait pour la première fois.

    – Merci, Richard.

                                                                                                   

     Sasha.


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  • Le silence.

    Une partie majeur des premiers entretiens, mais également une situation d’apaisement, ou, au contraire, d'angoisse.

    A quatorze heures aujourd'hui, il n'est qu'une nécessité pour mon nouveau patient. Une nécessité qui lui permet de détailler la pièce dans laquelle il se trouve.

    Logan. Un petit enfant frêle, présentant un retard de croissance évident pour ses neuf ans. La première chose qui m'avait frappé chez lui fut ce visage émacié. Si fin, et dépourvu de rondeurs enfantines. J'ai tout de suite pensé que nos séances seraient compliquées.

    Mais j'allais tout faire pour obtenir sa confiance. Et peut-être le pousser à bout, pour le forcer à se confier. A admettre qu'il avait besoin de moi.

    A cet instant, l'enfant était juste fasciné par mon étagère pleine de livres.

    – Comment s'est passé ta journée ?

    – Bien.

    Un mot. Un seul, qui m'indiquait sa méfiance à mon encontre. Mais c'était un mot important. Bien plus important que le silence. Il était le signe que Logan n'était pas totalement fermé à cette séance.

    – Sais tu qui je suis ?

    – Un psychologue.

    'Un', et non pas 'Mon'. Ça ne m'étonnait même pas.

    – Je suis ton psychologue. Je m'appelle Maximilian Anton, mais tu peux m'appeler Max, si tu veux.

    Je lui offrais un grand sourire, mais ne recevais rien en échange. Même pas un regard direct. Logan semblait absorbé par le mur qui se trouvait dans mon dos.

    – Nous allons nous voir trois fois par semaine, pour commencer, et selon tes progrès, je pourrais diminuer où augmenter le nombres de nos séances. Je suis là pour t'aider, te soutenir.

    – Je n'ai pas besoin de vous, ni de personne.

    Je prenais le temps de noter cette phrase sur le cahier qui lui était dédié, ne laissant rien paraître d'autre que mon calme.

    – Qu'est ce qui te fait penser ça, Logan ?

    Ses yeux s'encrèrent dans les miens pour la première fois, et je pus lire un regard vide de vie, et pourtant plein de détresse. L'intensité de cet échange fit remonter un frisson le long de ma colonne vertébrale, et la froideur des mots qui le suivirent ne firent que l'amplifier.

    – Personne n'a jamais été là. Je ne vois pas pourquoi ça changerait maintenant.

    Cette phrase n'était décidément pas la phrase d'un enfant de neuf ans. Elle avait dû lui être répétée pour le dissuader de demander de l'aide. Je n'avais encore aucune idée de ce qu'avait vécu ce garçon, mais l'état de son corps parlait déjà pour lui.

    Négligences.

    Je notais mes pensées dans un coin de ma tête, pour ne pas avoir à rompre le contact de nos yeux.

    – Eh bien, maintenant, je suis là. Et je le serais pendant autant de temps que tu en auras besoin.

    Quelque part, je savais que mes paroles feraient écho dans son esprit, et qu'il y réfléchirait longtemps après cet entretien. Mais je savais aussi que, pour le moment, il ne serait pas prêt à l'accepter.

    – Je n'ai pas besoin de vous. Je ne vois même pas pourquoi je suis là.

    Ses paroles résonnèrent comme un reproche. Il n'avait aucune envie d'être ici, et cela se sentait bien, mais il savait aussi qu'il n'avait pas le choix. Qu'il ne pouvait pas s'enfuir.

    – Eh bien, je suis sûr qu'au fond de toi, tu connais la raison de ta présence. Ce que tu as vécu jusqu'à aujo...

    – Je n'ai pas envie de parler de ça !

    Logan s'était jeté sur ses pieds, et son corps était tendu des pieds à la tête. J'avais touché un point sensible, mais je ne pouvais pas encore me permettre de le soulever d'avantage lors de cette première séance. Si je le faisais, je risquais de le braquer. Il n'avait pas encore confiance, le pousser à me parler serait une trop grande erreur.

    – D'accord, répondis-je calmement.

    Mais ma patience et ma douceur ne suffirent pas à l'apaiser.

    – Je veux partir d'ici ! Je veux retourner dans ma chambre !

    Un coup d’œil vers l'horloge m'indiqua qu'il n'était là que depuis une dizaines de minutes, et j'étais bien tenté de lui indiquer que nous avions convenu un rendez vous d'une heure complète. Toutefois, en voyant ses poings crispés, et la pâleur de son visage, je renonçais. Il ne servait à rien de le garder enfermé d'avantage à mes côtés. Du moins, pour aujourd'hui.

    – Pour cette fois, je te laisses quitter mon bureau.

    J'avais à peine prononcé le dernier mot qu'il était déjà parti.

    Pour un début, ça n'avait pas été si mal.

                                                                                                                                        

    Ouf ! Je suis contente d'être parvenue à bout de ce texte !

    Même si ça ne paraît pas, c'est extrêmement difficile d'écrire du point de vue d'un professionnel que je ne connais pas vraiment. Je ne suis pas encore certaine d'être satisfaite de cet écrit, mais j'espère avoir réussi à vous toucher. A évoquer en vous quelque chose d'assez fort pour vous aider à comprendre. Pour l'instant, je sais que c'est encore flou. Mais c'est voulu. Je ne peux pas tout balancer comme ça.

    Ce serait trop dur.

    Pensez à laisser un petit commentaire.

    Sasha.

     


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