• Un sentiment d'abandon

    Nous y étions. Enfin.

    Après une longue période de crise à la maison, une bataille infernale pour boucler la valise, et une course contre la montre lors du trajet, on était arrivé.

    Mon fils s'était laissé traîné jusqu'au hall d'entrée, où se trouvaient déjà des enfants accompagnés de leurs tuteurs. Nous étions en retard, et pourtant, le personnel restait discrètement dans l'ombre pour laisser du temps aux au revoir.

    Mon fils faisait sa première entrée dans l'institut. Ma femme avait pris soin de s'occuper de lui parler de ce lieu, pour le faire à l'idée, mais n'avait pas trouvé le courage de nous accompagner jusqu'ici. Naturellement, elle avait trouvé une excuse pour se faire pardonner, mais je sentais que notre enfant était d'autant plus angoissé par son absence.

    Jules était un garçon très calme, peut-être trop, et n'avait cessé de souffrir à l'école. Ses camarades de classe ne l'avaient jamais accepté auprès d'eux, tout simplement parce que mon petit Jules aurait voulu naître en Julie. En classe, même les professeurs avaient eu du mal à faire taire les insultes, jusqu'au jour où ça a dégénéré.

    Mon fils s'est fait tabassé dans la cour de récréation par sa propre classe, mais aussi par des classes au niveau plus élevé, lorsque les surveillants avaient le dos tourné. Tout ça parce que ce jour là, il avait tenu à porter les bijoux de sa mère, ainsi qu'un joli foulard fleuri portant son parfum.

    Aujourd'hui, évoquer la classe n'était plus possible. Les crises d'angoisses ne se comptaient plus sur les doigts de nos mains. Le médecin nous avait assuré qu'il avait besoin d'un suivi psychiatrique pour affronter ses peurs et accepter d'être ce qu'il est. Un jour, mon fils pourrait devenir une fille, et contrairement à d'autres, cette idée me remplissait de joie. Il serait enfin heureux.

    Le fruit de mes pensées me ramena au présent en se cramponnant à mes bras, m'obligeant à me pencher vers lui.

    – De quoi as tu peur mon cœur ? Tu ne risques rien ici.

    Du haut de ses dix ans, il paraissait plus petit que d'autres enfants de son âge, mais je savais pertinemment que sa maturité était bien plus élevée que ce qu'elle aurait dû être.

    Son regard vacillait entre les personnes présentes et les murs couverts de peintures. Son air était scrutateur et songeur, et lorsqu'il comprit que les personnes portant un badge étaient des professionnels, il enroula ses bras autour de ma taille avec force.

    – Je ne veux pas rester ici, papa.

    – Je sais bien, mon chéri. Mais je suis sûre qu'à la fin de la semaine, tu me diras que tu t'es bien amusé.

    Il secoua la tête, et je sentis mon cœur se serrer. J'ai beau être un homme, ça ne m'empêche pas de ressentir de la tristesse. Je savais que, si ce n'était pas si nécessaire, j'aurais cédé et l'aurais ramené à la maison. Mais c'était notre seule solution pour continuer de le garder auprès de nous, en bonne santé.

    – Tu sais, on ne t'abandonne pas, maman et moi. Tu as de la chance, tu vas pouvoir rentrer à la maison tous les week-ends. Ce n'est pas le cas de tout le monde ici.

    C'est à ce moment là que les psychologues et infirmiers commencèrent à séparer les enfants des parents. Certains ne bronchaient pas, et devaient être habitué à cette situation, d'autres se mirent à pleurer, où à hurler. Quand Jules se rendit compte que lui aussi allait devoir me quitter, son petit corps se crispa contre le miens, et ses yeux se remplirent de larmes.

    – S'il te plaît, je ne veux pas que tu me laisses là.

    – Il le faut, mon ange. Tout le monde est très gentil ici, ça va bien se passer.

    Du coin de l’œil, je vis un grand homme brun s'approcher de nous. Il avait un large sourire rassurant, et affichait une mine chaleureuse et calme. Il me salua d'un signe de tête.

    Mon fils le fixait avec méfiance, et tenta de nous faire reculer lorsque l'adulte s'accroupit près de lui. Cela ne déstabilisa pas le professionnel, qui prit la parole.

    – Salut Jules. Je m'appelle Evan, je suis ton psychologue, et je serais là pour toi à tout moment.

    Je ne sais même pas comment il a su que mon fils était bien son patient. Peut-être grâce à la photographie de son dossier ? En tout cas, je ne l'avais pas rencontré une seule fois auparavant, et j'étais heureux qu'il ait su nous repérer seul.

    – Ta maman m'a dit que tu adorais la lecture ? J'ai une tonne de livre dans mon bureau, et il y a une immense bibliothèque au fond du couloir. On ira la voir après avoir visité ta chambre, si tu veux.

    C'était le signal. Il était l'heure de dire au revoir à Jules.

    Je me penchais pour embrasser mon fils, qui s'accrochait à moi avec autant de force qu'il le pouvait, et lui murmurais des mots doux pour tenter de l’apaiser. Ce fut comme s'il ne m'écoutait pas.

    Un dernier au revoir, la promesse de venir le chercher vendredi soir, et je le relâchais. Mais mon fils continuait de agripper à moi.

    Quand Evan pris ses mains dans les siennes, mon fils hurla autant que le lui permettaient ses poumons, et j'ai cru que j'allais flancher.

    Le voir être éloigné de force me fendit le cœur. Et l'entendre m'appeler au secours humidifia mes yeux.

    En quelques secondes, il disparut au coin d'un couloir.

    Et moi, je fus incapable de bouger pendant un long moment.

    Il allait me manquer.

    Terriblement.

                                                                                                

    Alors ?

    Sasha.


  • Commentaires

    1
    Dimanche 30 Juillet 2017 à 13:54

    C'est vraiment bouleversant et touchant !

    Déjà, le père qui ne pense qu'au bonheur de son fils m'a énormément plu. Avoir cette vision des choses n'est pas donné à tout le monde malheureusement.

    Ensuite, je suis en train de regarder une série coréenne qui aborde le harcèlement et depuis que j'ai commencé cette série, je suis encore plus sensible à ça.

    J'ai essayé de m'imaginer à la place d'un parent qui a un enfant mal dans sa peau comme Jules, mais je n'y arrive pas. Peut être parce que je n'arrive pas à m'imaginer en tant que parent tout simplement. Mais en lisant ce texte, je me suis quand même identifié au père de Jules.

    Bref j'ai beaucoup aimé ce texte !

    J'espère que Jules n'aura plus peur et qu'il pourra se sentir mieux dans sa peau et être heureux x)

    2
    Lundi 31 Juillet 2017 à 08:24

    Pour cette fois, j'ai opté pour un parent qui veut le bonheur de son enfant et qui accepte sa différence. Mais il y aura d'autres fois où ce ne sera pas pareil.

    Je suis contente d'avoir pu te transporter dans cette voix là, de te mettre à la place de cet homme, de cette famille, et j'espère encore pouvoir le faire :)

    En tout cas, merci pour ton commentaire. Tu me partagerais ta série ? J'adorerai la voir.

    3
    Lundi 31 Juillet 2017 à 12:43

    J'ai hâte de voir tes autres articles alors xP

    C'est un drama qui s'appelle "school 2015: who are you"

    C'est l'histoire d'une fille qui est très durement harcelé en classe par un groupe de fille, et un jour elle décide de se suicider à cause de ça mais au final quelqu'un va la sauver.

    Je t'en dis pas plus pour ne pas t'en dire trop non plus x) Il se passe plein de choses. En résumé, ça parle des lycéens et de leurs problèmes (harcèlement, pression des parents, anorexies...) Le début m'a beaucoup plus pour ça, mais la fin est moins marquante je trouve.

    4
    Mardi 1er Août 2017 à 09:28

    Super merci beaucoup du partage ! :)

    5
    Dimanche 8 Octobre 2017 à 21:48

    Un dernier au revoir, la promesse de venir le chercher vendredi soir, et je le relâchais. Mais mon fils continuait de s'agripper à moi.

     

    Un texte bouleversant.

    Si seulement tous les parents pouvaient accepter leur enfants tels qu'ils sont de la même manière que ce père le fait. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas... C'est déchirant en tous cas. Et j'ai sans doute regardé trop de films d'horreur, mais moi même je n'y serais pas resté.... Quel que soit cet endroit, aussi gentils sont les employés et professionnels... À dire vrai, ce texte me rappelle n'importe quel début de film/fictions sur les asiles et hôpitaux psychiatrique...... MAIS c'est ma faute, haha !

      • Lundi 9 Octobre 2017 à 07:44

        Merci pour la correction ! J'ai du mal me relire ! ^^

        Oui si seulement... il va falloir que j'écrive sur le cas inverse aussi.

        Les préjugés... tout le monde en est victime ! Je l'ai moi même été. Au final, ce n'est pas si terrible que ça. Parfois ça sent l'hôpital, oui il y a des moments difficiles, des moments de cris, de larmes, mais souvent les enfants/adultes y sont bien mieux. Là bas il y a des activités adaptés à leurs pathologies, des soins également, et une absence de jugement. Rien que du soutien et de l'aide à s'accepter, de l'aide à avancer.

        En tout cas merci pour ton commentaire, je suis contente que ce texte t'ai touché ! 

      • Mercredi 11 Octobre 2017 à 09:50

        Ne t'en fais pas pour la faute. Je l'ai vue, je te la signale. S'il y en a d'autre, je ne les aies pas vue. Je sais que moi j'aime bien qu'on me les fasses remarquées car j'ai du mal à me relire attentivement pour corriger...

        Tes textes me touchent toujours autant, tu sais...

        Après je sais que c'est juste moi qui ai le cerveau un peu trop... Disons juste que je pars facilement dans mon imaginaire. Et tes textes, même s'ils sont sérieux, le sont peut-être trop pour mon côté de grosse empathique au coeur tendre et j'essaie de le tourner d'une manière à ce qu'il me "touche moins"... En fait, je ne sais pas. Mais rassures-toi j'ai bien compris cette dimension d'aide, de soutiens, d'absence de jugement qu'il y a là-bas.

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :